En effet ces tendances ne conditionnent pas seulement notre univers mental, mais aussi le monde que nous percevons. La conscience et le monde des phénomènes ne sont pas des entités séparées. Par le jeu de l’interdépendance, ils se façonnent mutuellement comme deux lames d’un couteau qui s’aiguisent l’une l’autre. Le bouddhisme ne conçoit pas de réalité extérieure totalement indépendante de la conscience. La frontière entre l’objectif et le subjectif est fictive.
On distinguera un « karma collectif », la façon générale dont un groupe d’êtres, par exemple les humains, perçoit le monde, et le « karma individuel » qui correspond à la diversité des expériences personnelles vécues dans le cadre de cette vision commune.
La connaissance du karma est essentiellement pragmatique. Elle consiste à distinguer les actes qu’il convient d’accomplir et ceux qu’il convient d’éviter afin d’éliminer la souffrance et de construire un bonheur durable. Le karma n’est donc pas une fatalité : nous sommes le résultat d’un grand nombre de décisions prises consciemment. On peut transformer un processus karmique avant qu’un acte n’ait produit son effet, tout comme on peut intervenir avant qu’une pierre lancée en l’air ne nous retombe sur la tête. On peut ainsi contrecarrer la haine par l’amour et la patience, l’avidité par le détachement, la jalousie par la joie face au bonheur d’autrui.
Si l’on estime qu’il n’y a rien en dehors de la durée de cette vie, il n’y a alors plus guère de différence entre l’approche bouddhiste et une analyse psychologique générale qui tient le bonheur individuel comme un but ultime de l’existence. La notion de karma prend donc toute sa signification lorsqu’on envisage une continuité du flux de conscience d’une existence à l’autre. Dans ces cas, les tendances accumulées par la conscience vont également influencer l’expérience des vies futures.
Toutes ces tendances reposent en fin de compte sur l’ignorance, sur une perception des phénomènes qui ne correspond pas à leur nature véritable.
Selon l’analyse bouddhiste, les phénomènes sont vides de caractéristiques intrinsèques. Reconnaitre la vacuité d’existence propre des phénomènes qui apparaissent comme le déploiement infini d’une illusion ou d’un rêve, est le moyen le plus puissant de faire fondre la glace de ces tendances au soleil de la connaissance. Celui qui a entièrement dissous son karma a également éradiqué toute négativité du flux de sa conscience et dissipé tous les voiles de l’ignorance. C’est ce qu’on appelle l’état de Bouddha.